Rechercher un rapport, une publication, un expert...
La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne
Imprimer
PARTAGER

France-Brésil : le match gagnant d’un partenariat stratégique

France-Brésil : le match gagnant d’un partenariat stratégique
 Alberto Maresca
Auteur
Chercheur en relations internationales - Amérique latine et caribéenne

​Le président Lula se rendra en France du 4 au 9 juin, pour une visite officielle dont la longueur témoigne de l'importance : l'affaissement de l'hégémonie étatsunienne pousse en effet le Brésil à renforcer ses autres partenariats. Des sous-marins nucléaires à la place de la culture, des traités commerciaux à la protection de l'Amazonie, de la réforme du multilatéralisme aux océans : la France a l'occasion de se présenter en interlocuteur de choix et de s'affirmer comme une tête de pont entre l'UE et l’Amérique du Sud, à condition de se départir d'une vision trop exclusivement hexagonale.

Loin de n’être qu’une visite institutionnelle bilatérale, le voyage en France du président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva rappelle combien les relations entre le Brésil et la France sont fortes, tant sur le plan politique que géopolitique, alors que la confiance entre Brasilia et Paris est à un point culminant. Les questions cruciales inscrites à l'ordre du jour de ce long séjour (du 4 au 9 juin) en témoignent : Lula se rendra à la base militaire de Toulon afin d’examiner la pertinence d’une collaboration avec la France pour doter le Brésil du premier sous-marin nucléaire des armées latino-américaines.

La coopération nucléaire en matière de défense entre le Brésil et la France revêt une double importance, dans le contexte  d’une Amérique latine dont quasiment tous les pays sont signataires du Traité de Tlatelolco de 1967, qui interdit l'utilisation d'armes atomiques dans la région. En effet, l’'opposition généralisée à l'utilisation du nucléaire, combinée à la richesse minérale de l'Amérique latine, a traditionnellement cantonné le développement des installations nucléaires à l'Argentine, au Brésil et au Mexique.

La visite de Lula, fortement concentrée sur les enjeux énergétiques et militaires, signale une intention de s'éloigner du soutien militaire américain.

En second lieu, la visite de Lula, fortement concentrée sur les enjeux énergétiques et militaires, signale une intention de s'éloigner du soutien militaire américain. L'aide économique et militaire des États-Unis au Brésil est historiquement controversée, depuis le coup d'État de 1964 contre le président João Goulart (où l'ambassadeur américain de l’époque, Lincoln Gordon, est accusé d’avoir joué un rôle) jusqu'à la désignation plus récente du Brésil comme allié majeur non membre de l'OTAN, et aux liens idéologiques entre les présidents Trump et Bolsonaro.

Donald Trump, le catalyseur de la synthèse France-Brésil ?

L'ombre portée de Donald Trump s’étend en effet sur la visite en France du Président Lula. L'hostilité de Donald Trump à l’encontre du président brésilien est manifeste, notamment depuis  l'expulsion de ressortissants brésiliens des États-Unis, qui a déclenché une crise diplomatique. La venue du fils de Jair Bolsonaro, Eduardo, à Washington DC, où il a cherché à obtenir le soutien politique et la protection des républicains, a aussi tendu les relations entre les deux pays. Enfin, les tensions économiques liées aux droits de douane imposés par Trump aux pays du BRICS et au Brésil ont déclenché de vives condamnations de la part de Lula.

C’est donc dans ce contexte que l’on peut comprendre les efforts du gouvernement brésilien pour se dégager de ses liens politiques, économiques et militaires avec la Maison Blanche. La France figure comme un excellent allié de substitution : partenaire de longue date du Brésil, elle partage avec lui des intérêts communs, notamment à propos du climat et de la culture (la Saison culturelle France-Brésil s’est ouverte en avril), sujets qui seront au cœur de la visite de Lula et sur lesquels les États-Unis se sont largement mis en retrait.

En matière de climat, Lula et Macron devraient parvenir à une déclaration commune dans le cadre de la COP 30, initiative associée à la Conférence des Nations unies sur les océans qui se tiendra à Nice en 2025. Outre les questions de gouvernance, telles que la réglementation des données, le Brésil et la France devraient également élargir les accords de Concórdia signés en 2002.

La culture est une autre des priorités essentielles de Lula, et les discussions avec l'UNESCO et la coopération universitaire occuperont une place importante. Le président Lula recevra un doctorat honoris causa de l'Université Paris 8, quelques jours seulement après l'organisation de la Semaine de l'Amérique latine et des Caraïbes organisée par la France, qui a vu une participation exceptionnelle du Brésil dans toutes les institutions parisiennes consacrées à la région latino-américaine. Les opportunités entre la France et le Brésil se présentent déjà sous un jour très favorable, dont la dynamique est rendue plus appréciable du fait du recul de la coopération mondiale sous l'administration Trump.

Politique étrangère, relations commerciales : les éléphants dans la pièce

Mais la visite de Lula en France n’est pas sans présenter des défis, notamment en matière de  politique étrangère et de coopération entre le palais des Arches (ou palais d'Itamaraty - résidence du ministère des relations extérieures) et le Quai d'Orsay. Le Brésil est actuellement à la tête du bloc des BRICS, qui milite pour une réforme des institutions de Bretton Woods et de l'ordre multilatéral et appelle à un meilleur partage de la gouvernance.

La visite de Lula en France n’est pas sans présenter des défis, notamment en matière de  politique étrangère et de coopération entre le palais des Arches (ou palais d'Itamaraty - résidence du ministère des relations extérieures) et le Quai d'Orsay.

Par ailleurs, le Brésil a renforcé ses relations avec la Russie, notamment sur le plan commercial, avec la visite que le président Lula a effectuée à Moscou en mai. Dès lors, l'accord commercial UE-Mercosur apparaît d’autant plus crucial. L'entourage proche de Lula a fait savoir que le président insisterait auprès de son homologue français sur la nécessité de ratifier l'accord.

Éducation, défense, climat : par où commencer ?

Les étudiants brésiliens inscrits dans les universités françaises sont plusieurs milliers et enrichissent le partenariat économique d’une dimension multiculturelle importante. On compte 1 100 succursales d'entreprises françaises au Brésil et les investissements directs brésiliens en France s’élèvent à hauteur de 2 milliards d'euros.

Les relations culturelles sont un point de départ privilégié pour les échanges bilatéraux du Brésil avec la France, ainsi qu’avec l'UE, notamment dans le cadre de l'actuelle Année culturelle Brésil-France imaginée par Lula et Macron.

Les liens militaires sont certes importants, mais l'avantage comparatif de l’alliance avec la France et l'Europe se trouve du côté de la diplomatie climatique, pilier incontournable de la politique intérieure du Brésil, sur le territoire duquel se trouve 60 % de la forêt amazonienne.

Sur le plan économique, le Brésil n'est pas seulement un fournisseur d'énergie, mais aussi une puissance mondiale dynamique, qui a enregistré une croissance de 1,4 % de son PIB au dernier trimestre et devrait connaître une croissance stable de 2 % au cours des deux prochaines années, selon les prévisions du FMI. Paris et Bruxelles auraient tort de sous-estimer l'importance de la capacité d'influence et d'initiative brésilienne dans un monde multipolaire. La politique étrangère proactive de Lula a donné une place centrale à son pays dans les relations internationales en Amérique latine, faisant du Brésil la tête de pont dont l'UE a besoin pour renforcer ses liens avec l'Amérique latine et les Caraïbes.

D'un point de vue purement diplomatique, le Brésil est également un partenaire stratégique pour aider l'Europe à faire face à ses difficultés en matière de migration. Le Brésil compte environ 38 ambassades dans des pays d'Afrique et d'Asie, dont beaucoup sont les principaux pays d'origine de l'émigration vers l'UE, où les diplomates brésiliens peuvent travailler efficacement avec leurs homologues européens sur des questions consulaires et migratoires.

Il faudra pour cela se départir d’une vision purement hexagonale des aspects liés aux BRICS et au Mercosur : le président Macron a l'occasion de redorer le blason diplomatique et international de la France, en concluant des accords et des partenariats susceptibles de guider l'Europe vers une dimension multipolaire et stratégique.

Si l’Europe veut être considérée comme un interlocuteur privilégié pour l'Amérique latine et les pays du Sud, si elle veut transformer l'effondrement de l'hégémonie américaine sous Trump en avantage, le voyage de Lula en France représente pour elle, ainsi que, à terme, pour le reste d’un monde en pleine mutation, une opportunité majeure.

Il faudra pour cela se départir d’une vision purement hexagonale des aspects liés aux BRICS et au Mercosur : le président Macron a l'occasion de redorer le blason diplomatique et international de la France, en concluant des accords et des partenariats susceptibles de guider l'Europe vers une dimension multipolaire et stratégique de ses relations internationales.

Copyright Ludovic MARIN / AFP
Emmanuel Macron et Luiz Inacio Lula da Silva lors du G7 à Bari, en Italie, le 14 juin 2024

 

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne