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Israël-Iran – les Européens à contre-emploi

Israël-Iran – les Européens à contre-emploi
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Une opération qui ravale les précédentes au rang  de simples répétitions générales, et des acteurs  à contre-emploi :  l’opération Rising Lion, lancée le 13 juin par Benjamin Netanyahou contre les installations nucléaires iraniennes, pose question. Est-il bien dans l'intérêt des Européens de s'engouffrer dans la brèche du conflit ouvert, alors que le 15 juin des négociations devaient s'ouvrir à Oman ? Comment expliquer le tempo du déclenchement de l'offensive israélienne ? Au-delà du péril que représente l'obtention de l'arme nucléaire par l'Iran, quel est l'agenda implicite du dirigeant et qu’attendre des États-Unis ? L'analyse de Michel Duclos.

Depuis les frappes israéliennes d’octobre 2024, qui avaient démoli l’essentiel des systèmes de défense iraniens, une épée de Damoclès était suspendue au-dessus de l’Iran : à tout moment, Israël pouvait reprendre son offensive, notamment bien sûr en ciblant le programme nucléaire de la République islamique.

Le président Trump avait engagé sur la question nucléaire une négociation bilatérale avec l’Iran ; on sait qu’il préfère "l’art du deal" aux options militaires

Deux garde-fous paraissaient cependant offrir encore une certaine protection au régime de Téhéran : d’une part, le président Trump avait engagé sur la question nucléaire une négociation bilatérale avec l’Iran ; on sait qu’il préfère "l’art du deal" aux options militaires. D’autre part, les stratèges expliquaient que pour frapper vraiment le programme nucléaire iranien, l’État hébreux avait besoin d’un soutien technique américain.

L’engrenage vers le conflit actuel

Les décideurs iraniens, après des débuts prometteurs, ont commis l’erreur d’adopter dans la discussion avec les Américains une attitude "dure", en particulier s’agissant de leur capacité d’enrichir l’uranium.

Ils ont offert ainsi une fenêtre d’opportunité à M. Netanyahou : ce dernier a pu prétendre - bien que les services de renseignements américains aient affirmé encore récemment le contraire - que l’Iran se rapprochait dangereusement de la possession de la bombe ; le Premier ministre israélien, dans les heures précédant l’attaque, a su convaincre la Maison-Blanche qu’une action israélienne était justifiée ; et il est vrai que M. Trump avait donné "60 jours" à Téhéran pour conclure un accord ; le délai étant parvenu à son terme, le président américain, qui quelques jours plus tôt appelait encore à laisser du temps à la négociation, s’est rallié à l’idée que l’heure était venue de laisser faire son allié israélien.

Au passage, une partie du mouvement MAGA désapprouve fortement (c’est le cas de Tucker Carlson) tandis que ce qui reste des néo-conservateurs exultent (cf. Mark Dubowitz, Directeur général de la Foundation for Defense of Democracies). Sur la nature des frappes auxquelles a procédé Israël, l’usine d’enrichissement de l’uranium de Natanz a été touchée. Le site de Fordo, également attaqué dans un second temps, est réputé hors d’atteinte en raison de son caractère souterrain. C’est là que des bombes lourdes "pénétrantes" américaines seraient nécessaires pour vraiment faire la différence.

Tout laisse penser cependant que la réduction de la menace nucléaire iranienne ne constitue qu’un aspect de l’offensive déclenchée "out of the blue" par Israël. L’offensive a commencé par une impressionnante décapitation de la direction militaire iranienne, aussi bien chez les Gardiens de la Révolution qu’à l’état-major des armées ; par comparaison, les opérations contre le Hezbollah (l’épisode des "bipers", ou l’assassinat de Nasrallah en septembre 2024) apparaissent comme une simple répétition générale pour l’opération Rising Lion du 13 juin. Ce sont des milliers de cibles - civiles et militaires - qui sont visées par Tsahal, ayant souvent peu de rapport avec le programme nucléaire.

Dans le même temps, les appels répétés de Netanyahou à un soulèvement populaire contre le gouvernement des mollahs dévoilent un autre objectif de l’attaque israélienne, qui est le changement de régime à Téhéran. La cartographie des cibles israéliennes sur l’ensemble du territoire iranien est indicative à cet égard. Notons que de nombreux observateurs dans la région estiment que si, comme c’est probable, le conflit se prolonge, le régime des mollahs ne pourra tenir que quelques semaines.

Y a-t-il aussi chez les décideurs israéliens le calcul qu’à un moment donné, Tsahal ayant commencé à dégrader les installations nucléaires iraniennes, les États-Unis s’engageront eux-mêmes pour "finir le travail" ?

Y a-t-il aussi chez les décideurs israéliens le calcul qu’à un moment donné, Tsahal ayant commencé à dégrader les installations nucléaires iraniennes, les États-Unis s’engageront eux-mêmes pour "finir le travail" ? Par ailleurs, l’Iran pouvait difficilement faire autrement que de répliquer par des frappes sur Israël par tous les moyens à sa disposition, drones et missiles. Dès lors qu’Israël se trouve ainsi à son tour attaqué, les alliés américains mais aussi européens ne vont-ils pas entrer en action  pour défendre  Ieur allié israélien ?

Et reconstituer ainsi une alliance qui "embarquerait" les Occidentaux dans une croisade anti-iranienne, au moment où sur la question palestinienne certains Occidentaux - dont la France - paraissaient se résoudre à prendre le contre-pied d’Israël ?

Enfin, ne va-t-on pas assister à une extension du conflit à l’ensemble de la région, voire au-delà ? Ce serait le cas par exemple si les Iraniens se résolvaient à compenser leur infériorité stratégique vis-à-vis d’Israël en s’en prenant aux installations pétrolières de leurs voisins ou en fermant le détroit d'Ormuz. Israël pour sa part a jusqu’ici évité de détruire le terminal de l'île de Kharg, par où passent 90 % de l’exportation du pétrole brut iranien. On ne peut exclure qu’en revanche la République islamique soit amenée à aller jusqu’au bout de ses options, provoquant, là aussi, une intervention américaine.

L’attitude paradoxale des Européens

Le retournement de M. Trump dans cette affaire tient peut-être à sa volonté d’être du côté de la victoire (dont il n’hésite pas à s’attribuer en partie le mérite). Les Russes et les Chinois sont à l'affût de toute possibilité d’exploiter la situation. Le soutien immédiat des Européens à M. Netanyahou - même s’il n’est pas sans réserve, surtout dans le cas britannique - apparaît plus surprenant. Il est qualifié de "paradoxal" par le journal Le Monde.

Dans la bouche du président Macron, ce soutien est justifié par "le droit de se défendre" d’Israël. La défense d’Israël impliquait-elle pour autant une frappe en premier maintenant contre l’Iran ? On se souvient que c’est sur la base du refus de l’attaque en premier que le général de Gaulle avait dénoncé Israël en 1967 et que c’est aussi au nom du même principe que la France avait refusé son soutien à l’opération américano-britannique contre l’Irak en 2003. Gérard Araud parle dans le cas présent d’un "moment 2003 à l’envers". La date du déclenchement de l’opération iranienne apparaît d’autant plus troublante que les négociateurs iraniens et américains devaient reprendre le fil de la négociation à Oman le dimanche 15 juin au soir. L’attaque israélienne contre l’Iran ne pouvait-elle attendre quelques jours, le temps de vérifier que ces négociations étaient vraiment vouées à l’échec ?

Comment ne pas soupçonner au total que le dirigeant israélien soit se méfie des instincts de Donald Trump et a voulu préempter un "deal" irano-américain, soit recherche un gain de politique intérieure à un moment où l’hypothèse d’une élection générale anticipée devient de plus en plus actuelle à Jérusalem ? Soit d’ailleurs que les deux motivations se conjuguent ? En toute hypothèse, les événements en cours au Proche-Orient seront perçus dans le reste du monde comme une nouvelle preuve de la pratique du "deux poids deux mesures" par les Occidentaux. L’attitude à contre-emploi des Européens risque de se retourner d’autant plus contre eux qu’une volte-face de Donald Trump est toujours possible. Enfin, si l’attaque israélienne conduit effectivement à un changement de régime à Téhéran, rien ne prouve que l’après-Khamenei sera autre chose qu’un situation de chaos comme ce fut le cas en Irak ou en Libye. 

Les événements en cours au Proche-Orient seront perçus dans le reste du monde comme une nouvelle preuve de la pratique du "deux poids deux mesures" par les Occidentaux.

Pour ces différentes raisons, l’intérêt des Européens comme des Américains serait de saisir tout signe de disponibilité à négocier de Téhéran - le ministre iranien des Affaires étrangères iranien, M.Araghchi, vient de faire des déclarations en ce sens - pour obtenir d’Israël un arrêt de sa campagne et pour reprendre immédiatement la discussion sur un accord nucléaire avec Téhéran.

Copyright image : Ahmad GHARABLI / AFP
Le site de Haifa, en Iran, après le lancement de l’opération Rising Lion, le 16 juin 2025

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